Joshua Lee est un vétéran de la création de modèles animatronics, avec plus de 25 ans d’expérience dans l’industrie du film. Il a travaillé sur de nombreux films célèbres : Le Cinquième Élément, Prometheus, Maléfique, ou des séries de films cultes tels que Star Wars ou Harry Potter. Il a remporté le prix « Modèles Remarquables pour un Projet Photoréel ou Animé » de la Visual Effect Society (VES), pour Star Wars : Épisode II – Le Réveil de la Force (2015).

Nous avons rencontré Joshua à Prague, où il travaillait depuis plusieurs mois sur une nouvelle grosse série pour Amazon TV. Évidemment, nous avons surtout discuté de nos centres d’intérêt communs et de l’un de ses outils de travail principaux : les imprimantes 3D.

Alors, sans surprise, notre première question, qui est aussi la plus importante, comment utilises-tu l’impression 3D dans ton travail ? 

Aujourd’hui nous utilisons de nombreuses techniques d’impression 3D dans l’industrie du film. Traditionnellement, nous fabriquions les choses par usinage CNC, en moulant et en faisant des tirages. Nous n’avons vraiment adopté l’impression 3D que depuis ces cinq dernières années. Je l’utilise vraiment beaucoup maintenant. Avec tous ces scanners à main disponibles aujourd’hui, tu peux faire un cyber scan d’une personne, puis le numériser et travailler dessus. En utilisant la modélisation pure, ou avec ZBrush, et ensuite l’imprimer. Nous utilisons vraiment des trucs en haute résolution, haute qualité, comme de grosses machines SLA, ou alors pour les pièces mécaniques, nous faisons des impressions SLS en nylon. Mais nous utilisons de plus en plus des machines de bureau, comme l’Original Prusa. J’ai deux MK3s, que j’utilise pour la recherche et le développement.

Ce que je préfère avec les imprimantes 3D, c’est qu’elles sont pratiques quand on a des délais vraiment serrés. Le réalisateur du film a une nouvelle idée et tu te mets à souhaiter qu’il y ait plus d’heures dans une journée. Avant on passait beaucoup de « nuits blanches » à essayer de boucler le travail. Si tu as ta propre imprimante 3D, tu peux modéliser quelque chose rapidement, appuyer sur imprimer et tu peux rentrer te coucher – C’est ce que je préfère ! Le matin, tu es en forme et tu as cette super impression qui t’attend. Je suis toujours épaté, à chaque fois que j’arrive et que je vois ce truc qui est apparu comme par magie pendant la nuit. (rires)

 

Peux-tu nous donner quelques exemples d’utilisation spécifiques ou typiques ?

On utilise quelques techniques. On a commencé à utiliser l’impression 3D pour la fabrication de moules. On fait une impression 3D d’une sculpture. Et ensuite on imprime un coffrage en deux parties pour la mettre, avec un espace tout autour, qu’on remplit avec de la pâte silicone. Ensuite on fait un tirage, on le retouche, puis on fait un nouveau tirage en plastiline et ensuite on peut faire la sculpture finale et réutiliser le tout en refaisant un nouveau moule silicone. C’est une technique très intéressante.

Ou encore les yeux – toutes les créatures que nous créons ont des globes oculaires. Ils sont très difficiles à fabriquer. Ils sont tous de tailles différentes, ils doivent être usinés à l’arrière pour accueillir un mécanisme puis être peints sur le dessus. On a commencé à les fabriquer par impression 3D, avec tout le mécanisme dedans,
et ensuite on les peint et on les recouvre avec un revêtement transparent.

On fabrique des têtes. On fait un cyber scan d’un acteur, on fait une impression 3D de la tête puis on fabrique une prothèse pour le maquillage. Par conséquent l’acteur n’a plus besoin de subir un moulage physique, qui est un processus pénible.

 

Donc vous utilisez l’impression 3D comme première étape, une base pour un travail plus avancé ?

Par exemple, disons que tu as besoin d’un dinosaure pour un gros film d’Hollywood. Tu peux prendre des modèles 3D déjà existants et les découper en plein de sections et faire des impressions 3D. Mais il va falloir faire la jonction entre elles. Et aussi la finition… Tu sais, nous accordons beaucoup d’attention à la texture de peau.

Donc on va assembler toutes les impressions 3D comme un grand puzzle. Et ensuite, au lieu de l’utiliser directement, on va le mouler. Ensuite on refait un tirage en plastiline et on refait un moule. Et alors toutes les jonctions sur la plastiline peuvent être retravaillées facilement.

Un autre problème, c’est qu’il nous faut une peau souple, elle doit pouvoir bouger autour du cou. Donc lorsque nous faisons un tirage à partir de ce nouveau moule, nous utilisons du silicone ou de la mousse caoutchouc. Donc, en fait, l’impression 3D est un point de départ incroyable pour tous nos processus très compliqués. Mais ça accélère la fabrication, de façon phénoménale, vraiment.

 

Quels matériaux d’impression utilisez-vous en général ? 

Tu peux utiliser ton meilleur PLA pour tes modèles. On a utilisé du PETG pour le coffrage, c’est sympa et souple et résistant. C’est assez bon pour être utilisé pour des pièces pratiques. Le plus intéressant, c’est que tu n’as besoin de le faire qu’une seule fois, car tu peux réutiliser le coffrage, refaire un moule silicone avec. On continue à inventer de nouvelles manières de l’utiliser. Car nos délais sont tellement courts et tout le monde change d’avis. Le réalisateur a une nouvelle idée brillante, il faut qu’on réagisse rapidement, sans que ça coûte trop cher. Le fait d’utiliser les imprimantes 3D industrielles et aussi nos propres machines de bureau signifie qu’on peut aller vraiment vite. Car même avec les meilleurs services professionnels d’impression 3D, Il y a toujours deux ou trois jours de délai. Avec nos propres imprimantes, on peut le faire le jour même ou le lendemain.

 

Est-ce que vous imprimez des éléments mobiles oui des mécanismes ?

Oui, nous utilisons l’imprimante pour des pièces mécaniques également. Le PETG est un fantastique matériau pour les pièces mécaniques. Il peut supporter un filetage si tu le taraudes. Il est suffisamment flexible pour être résistant, il est robuste. Auparavant j’imprimais toujours avec du PLA, ou en nylon (sur une SLS). Mais maintenant, et de plus en plus, j’utilise uniquement du PETG. Et ça va devenir un accessoire du film une fois terminé. Le truc incroyable c’est que tous ces différents matériaux donnent de nouvelles idées. Ce que vous pouvez faire avec des têtes multiples ou avec une impression multifilaments… J’ai récemment créé une paire de mains, où les articulations étaient des gonds flexibles, Imprimés en 3D tous en même temps dans chacun des doigts. Les doigts étaient tellement petits, qu’il était presque impossible de réellement créer quelque chose à assembler. Mais ils peuvent être imprimés en incluant déjà ces articulations. Et aussi tous les petits passages pour le câblage, et les fixations. Mais le truc le plus pratique, c’est qu’une fois que tu as modélisé une main droite, tu cliques juste sur « miroir » dans le trancheur et tu peux imprimer la main gauche. C’est extraordinaire, car normalement je dois créer les deux côtés.

 

Qu’est-ce que tu penses des imprimantes de bureau comme l’Original Prusa MK3 ?

Ça a ouvert la voie à une toute nouvelle manière de créer des choses, vraiment. Particulièrement avec la « démocratisation » de l’impression 3D, et je pense que Prusa est vraiment bon dans ce domaine. J’ai appris de nombreuses techniques grâce à Prusa d’ailleurs. J’ai acheté ma MK3 sous forme de kit, je me le suis offert pour Noël, parce que je voulais assembler un kit le lendemain de Noël. Et j’ai appris quelques trucs, en fait ! J’essayais de trouver un moyen pour insérer des fixations filetées dans des impressions 3D. J’ai essayé d’incruster à chaud des inserts et d’autres choses comme ça. En assemblant le kit, j’ai découvert ces incroyables boulons carrés M3 insérés dans leurs emplacements. Et maintenant j’en mets partout, dans toutes mes constructions, car c’est tellement simple. Il n’y a rien de plus à faire, tu glisses simplement l’insert et tu as une belle fixation, solide. Par ailleurs, c’est là que j’ai fait la connaissance du PETG en fait. Je me demandais comment Prusa imprimait ces choses si résistantes. Et puis aussi, le fait de chanfreiner les coins plutôt que de les arrondir, de façon à obtenir une belle impression. J’ai appris tout ça en assemblant le kit. Maintenant j’utilise cette connaissance pour mes propres impressions.

 

Quand as-tu utilisé l’impression 3D dans ton travail pour la première fois ?

On a commencé à l’utiliser sur le tournage de Prometheus. Mais on a réellement développé cette utilisation sur les films Star Wars. Au début quand j’ai créé le BB-8, nous avons uniquement imprimé en 3D les originaux. Ensuite nous avons utilisé des techniques de moulage par injection de silicone pour créer les modèles définitifs. Mais vers la fin de Star Wars, j’imprimais en fait, eh bien, pas BB-8 tout entier, mais les véritables pièces définitives. Donc on a vraiment développé cette utilisation à ce moment. On a commencé par l’utiliser pour fabriquer des moules, pour des pièces mécaniques. Parce qu’on avait pas beaucoup de temps et il fallait qu’on peuple un film comme Star Wars avec des créatures. Il faut des androïdes, il faut plein de trucs. Et bien entendu, sur une imprimante 3D, tu peux créer plein de trucs super vite et pour pas cher.

 

Y-a-t’il des innovations, des nouveautés en matière d’impression 3D que tu aimerais vraiment ?

La chose que j’aimerais voir apparaître, c’est un grand format d’imprimante FDM qui fonctionnerait correctement, vraiment. Parce que si tu veux construire un dinosaure, tu peux l’assembler à partir de petites pièces, mais c’est beaucoup de travail pour faire le découpage. Et aussi, pour les têtes humaines – nous devons en imprimer beaucoup.

Les impressions volumineuses sont compliquées car tandis que le volume augmente, la vitesse devient un problème. J’aimerais vraiment avoir notre propre ferme d’impression au travail, pour les impressions volumineuses, quelque chose d’environ 60-70 cm cube. Plutôt que d’utiliser des compagnies extérieures avec des imprimantes de niveau industriel. C’est plus pratique pour nous car dans ce cas on a plus de problème pour que ça reste secret quand tout est fait à l’interne. Comme je le disais nos délais sont serrés, donc on doit tout faire aussi vite que possible. S’il y a un problème avec une impression, une entreprise extérieure peut la rejeter, mais nous, nous la prendrions quand même. Car nous savons que nous pouvons l’arranger en la bricolant un peu.

Donc, ce que j’aimerais voir arriver c’est une ferme grand format.

 

Quels sont les avantages de l’animatronics par rapport aux images de synthèse ?

L’animatronics a fait une sorte de retour ces huit dernières années, vraiment. J’ai travaillé sur de nombreux films où il y avait vraiment beaucoup d’images de synthèse. Beaucoup d’écrans bleus, juste une table et quelques accessoires. Je pense que c’est plus motivant, quand il y a de l’animatronics sur le plateau. Quand il y a un grand plateau derrière vous. Et l’enthousiasme de l’équipe et des acteurs, je crois que ça génère un élan, qui se retrouve dans le film. Je crois que les acteurs livrent une meilleure performance parce qu’ils interagissent avec quelque chose. Et je crois que les réalisateurs le savent.

Par ailleurs, il y a des choses qui sont incroyablement difficiles à réaliser en images de synthèse, comme lorsqu’une personne réelle touche un objet, ce genre de réalité physique simple. Il y a une impression de réalité avec les animatronics, qui manque souvent aux images de synthèse. Les choses ont de l’inertie et du poids, et Il y a aussi quelque chose d’assez enchanteur avec les animatronics, qui compte je pense.

L’autre raison, c’est qu’on est moins chers. Même si les animatronics sont onéreux, dès qu’on fait plus que quelques scènes, on finit par être moins chers que les images de synthèse, ce qui est un aspect important pour les producteurs, bien entendu. Ces dernières années il y a eu un merveilleux équilibre entre les images de synthèse et les animatronics. Lorsque nous utilisons une marionnette qu’on a fabriquée, nous avons moins de contraintes pour dissimuler les gens, les mécanismes, etc… Les images de synthèse peuvent effacer tout ça, et si le personnage doit traverser la pièce, ils peuvent le masquer. On ne peut toujours pas faire ça aussi bien qu’ils le font. Donc il y a un super équilibre à l’heure actuelle, qui donne des films formidables.

 

Si tu compares les images de synthèse et les films avec des animatronics d’il y a, disons, 10-15 ans, qu’est-ce qui a le mieux vieilli à ton avis ?

L’animatronics semble mieux vieillir que les images de synthèse. C’est lié au charme des marionnettes. Le public les accepte plus facilement. Peut-être que nos yeux sentent la différence et notre cerveau sait comment les lois de la physique fonctionnent. Nous avons des contraintes liées à la gravité ou à l’élan quand nous filmons, alors que parfois ce n’est pas pris en compte dans les anciennes images de synthèse.

 

Est-ce que tu as des anecdotes, des moments où il y a eu un problème sur un plateau ?

(long silence) Ce n’est pas très drôle quand il y a un problème. (Tout le monde rit) On dit souvent qu’un studio coûte un millier de dollars par minute. Donc si tu fais attendre les gens sur un plateau de tournage, tu as quelqu’un qui va venir te répéter « mille pour une minute, mille pour une minute… » C’est un environnement sous très haute pression. Mais on s’amuse bien.

 

Et concernant l’électronique, est-ce que tu utilises des choses classiques telles que des Arduinos, des Rasberry Pi ?

On a tout un service qui s’occupe de l’électronique. Ils construisent leurs propres circuits imprimés. Tout est de très haute qualité.

 

Est-ce qu’il existe des techniques spéciales en animatronics que tu utilises à ton avantage, dont on ne se douterait pas ?

La chose que j’ai découverte récemment c’est que tu peux fabriquer un objet unique. Si tu fabriques un bras par exemple, tu peux créer un seul objet. Il y a le squelette sous la peau, qui va accueillir ton électronique, porter les servos, servir à faire passer les câbles, si tu l’imprimes en métal, ça peut aussi devenir ton dissipateur de chaleur. Donc, le truc que j’ai réalisé c’est que ça devient presque des produits finis maintenant. Avec toute la CAD 3D, les scans 3D et les impressions 3D. tout est entre nos mains en tant que créateurs. Je fabrique juste des accessoires, tu sais, donc toutes ces techniques industrielles sont accessibles à tout le monde, en fait. Tu peux te retrouver avec des objets incroyablement sophistiqués, qui auraient demandé, il y a seulement cinq ou six ans, l’assemblage de nombreux éléments différents.

 

Est-ce que tu conserves certaines de tes créations ?

Je ne peux conserver aucun accessoire. Rien. Surtout ce qui concerne Harry Potter ou Star Wars, ça n’a pas de prix, vraiment. C’est mon travail, de les protéger, une fois que je les ai construits, de m’assurer qu’ils ne soient pas photographiés. Car il y a des paparazzi qui essaient de les photographier pendant les tournages. Je les garde secrets pendant des années, et ensuite je m’assure qu’ils sont en sécurité et je les remets à la production. Et certains – c’est vraiment sympa – finissent dans des musées. C’est incroyable, quand quelque chose que vous avez construit finit au Smithsonian. C’est extraordinaire, mais je ne possède rien de ce que j’ai fabriqué. C’est une existence très étrange. (rires)

 

Même pas une petite chose ? Ou un autre modèle que tu imprimerais juste pour toi ?

Une fois encore, tous ces concepts appartiennent à la compagnie de production pour laquelle je travaille. Pour être honnête, après un an de tournage… J’en ai marre. Je crois que j’ai construit, la dernière fois que j’ai compté, 28 BB-8. Donc, pour être honnête, Je n’ai pas vraiment besoin d’en avoir un à moi. (rires)

 

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimerais créer, basé sur une idée à toi ?

C’est le plus intéressant dans mon boulot, le fait qu’à chaque film on a des réalisateurs et des scénaristes très intelligents qui lancent de nouveaux défis. Ce qui me plait vraiment c’est quand quelqu’un dit, ce ne serait pas génial, si nous avions un robot capable de faire ça ? C’est comme si on te donnait un puzzle, et tu dois réfléchir à tout ça. J’aime vraiment que les directeurs et les scénaristes me confient ces puzzles. Et je m’en occupe. En fait je ne suis pas très doué pour imaginer ces puzzles moi-même.